Au Moyen Âge, l'Église qualifie les juifs de
«peuple déicide» et leur reproche d'avoir mis Jésus en croix mais elle ne manifeste aucun désir de les éliminer. Bien au contraire, elle a le souci de les préserver comme un témoignage vivant de l'injustice faite au Christ. Les juifs sont ainsi les seuls non-chrétiens tolérés en Occident !
Saint Bernard de Clairvaux exprime ce point de vue au XIIe siècle :
«Les Juifs ne doivent point être persécutés, ni mis à mort, ni même bannis. Interrogez ceux qui connaissent la divine Écriture. Qu'y lit-on de prophétisé dans le Psaume, au sujet des Juifs. Dieu, dit l'Église, m'a donné une leçon au sujet de mes ennemis : "ne les tuez pas, de crainte que mes peuples ne m'oublient"
. Ils sont pour nous des traits vivants qui nous représentent la passion du Seigneur. C'est pour cela qu'ils ont été dispersés dans tous les pays, afin qu'en subissant le juste châtiment d'un si grand forfait, ils servent de témoignage à notre rédemption» . Point de vue similaire chez Abélard, théologien rival de Saint Bernard.
Notons qu'en Espagne, en 1150, en pleine Reconquête chrétienne, le roi Alfonso VII de Castille se proclame roi des trois religions (christianisme, islam et judaïsme). À la même époque, dans l'ensemble de l'Europe, les seigneurs octroient des privilèges aux juifs afin de les attirer dans leurs villes
«pour l'honneur et la prospérité de leurs États» (selon une charte de l'évêque de Spire).
Beaucoup de juifs se font banquiers en tirant parti de ce que l'Église déconseille aux chrétiens le commerce de l'argent et le prêt avec intérêt, pour cause d'immoralité. Les réseaux communautaires en terre chrétienne comme en terre d'islam leur sont d'une grande aide dans ce métier. Mais la fonction de prêteur leur vaut un surcroît de haine de la part des débiteurs chrétiens.
La rupture judéo-chrétienne est concomitante des
croisades. En Rhénanie et en Europe centrale, à partir de 1096, on évalue à 5.000 le nombre de juifs massacrés par les foules désireuses de faire place nette avant leur départ pour la Terre sainte. Toutefois, à l'occasion de ces drames (on n'emploie pas encore le mot
pogrom), les seigneurs et les évêques font en général de leur mieux pour protéger leurs sujets israélites, ne serait-ce que parce qu'ils leur fournissent taxes et impôts en abondance....!
Meurtres rituels
Au XIIe siècle, face à la menace de conversions forcées, des chefs de famille juifs préfèrent tuer leur famille et se suicider. Ces actes de désespoir révulsent les chrétiens qui en ont connaissance. Ils sont peut-être à l'origine d'une rumeur selon laquelle les juifs égorgeraient des enfants chrétiens et utiliseraient leur sang pour la fabrication du pain azyme.
La première accusation de meurtre rituel est attestée à Norwich, en Angleterre, en 1146, soit un demi-siècle après la première croisade et les pogroms de Rhénanie. Aussi absurde qu'elle soit, cette rumeur va cheminer à travers les siècles jusqu'à nos jours. Ainsi la retrouve-t-on dans le
Protocole des Sages de Sion, un faux antisémite diffusé par la police du tsar avant la Grande Guerre de 14-18 et dont se repaît encore aujourd'hui la presse antisémite du monde musulman.
Des relations de plus en plus difficilesLa situation des juifs européens se dégrade dans les derniers siècles du Moyen Âge, au XIIIe siècle, quand se développent les villes, et surtout au XIVe siècle, après les drames de la Grande Peste (1347).
Les juifs se voient progressivement interdire le métier des armes et celui de la terre, ce qui les cantonne dans les occupations artisanales et commerciales. Les monarques en mal d'argent abusent de leur précarité pour s'enrichir à bon compte. C'est ainsi qu'en 1181, le roi de France Philippe Auguste fait arrêter les juifs de Paris et les libère en échange de 15.000 marcs or. L'année suivante, il les fait expulser et saisit leurs biens. Enfin, en 1198, il leur permet de revenir à Paris en échange d'une nouvelle somme d'argent.
En 1242, un juif converti, Nicolas Donin, assure au pape que le
Talmud, livre sacré des juifs, contient des injures contre le Christ. Une controverse a lieu à Paris entre rabbins et prêtres, à la suite de quoi le roi
Louis IX (futur Saint Louis) décide de faire brûler tous les manuscrits hébreux de Paris en place publique. Le total représente 24 charrettes.
Dans le même temps, en 1269, le petit-fils de Philippe Auguste impose aux juifs de porter sur la poitrine une
«rouelle», c'est-à-dire un rond d'étoffe rouge, pour les distinguer du reste de la population et prévenir les unions mixtes. Saint Louis applique ce faisant une recommandation du concile de
Latran (1215) qui avait demandé de marquer les juifs à l'image de ce qui se pratiquait déjà dans le monde musulman tout en interdisant qu'il leur soit fait du mal.
En 1254, le roi bannit les juifs de France mais comme souvent au Moyen Âge, la mesure est rapportée quelques années plus tard en échange d'un versement d'argent au trésor royal. Les juifs sont réexpulsés de France par
Philippe IV le Bel le 22 juillet 1306, rappelés par son fils Louis X le Hutin puis à nouveau expulsés en 1394.
En Allemagne, suite à une recommandation du concile de Vienne (1267), les juifs sont désignés par un chapeau plat surmonté d'une tige avec une boule, le
«Judenhut».
En Angleterre, suite à une campagne de calomnies, 18 juifs de la ville de Lincoln sont pendus puis, le 12 juillet 1290, poussé par l'opinion publique, le roi Édouard Ier donne trois mois aux juifs de son royaume pour partir. 16.000 personnes traversent la Manche et il s'écoulera quatre siècles avant que les juifs ne reviennent en Angleterre.
En Espagne, les juifs commencent en 1391 à être victimes de
violences meurtrières. Ceux de Castille et d'Aragon, au nombre d'environ 200.000, sont définitivement bannis en 1492, quelques semaines après que les Rois Catholiques eurent
chassé le dernier roi musulman de la péninsule.
«Au fond, on ne craint pas le Juif mais la fragilité de la conviction chrétienne» .
Les communautés juives d'Europe se retrouvent peu à peu enfermées dans des
ghettos d'où les habitants ne peuvent sortir la nuit (le mot
ghetto vient d'un quartier de Venise ainsi nommé en raison de la présence de fonderies et où, pour la première fois furent confinés les juifs, en 1516). Dans le monde musulman, de l'autre côté de la Méditerranée, les juifs se retrouvent de la même façon enfermés dans des quartiers réservés appelés
mellahs.
Beaucoup de rescapés des massacres et des expulsions d'Espagne, de France ou d'Angleterre s'enfuient en Pologne où le roi Casimir III Jagellon leur accorde en 1334 le
Privilegium, ce qui va contribuer à l'extraordinaire rayonnement intellectuel et artistique du pays aux XIVe et XVe siècles. D'autres juifs se réfugient dans... les États du pape : dans le Comtat Venaissin, à Carpentras ou Avignon , ainsi qu'à Rome, où ils sont assurés de vivre en sécurité.
Ces relations ambivalentes entre juifs et chrétiens, faites d'intolérance religieuse et de jalousie sociale, forment l'essence de l'antijudaïsme médiéval. Elles vont muter à la fin du Moyen Âge vers une haine d'essence raciale, à la base de l'
antisémitisme moderne......