L'état du monde.
La première étape de la préparation d’un voyage consiste à se situer dans l’espace à parcourir pour se rendre vers la destination choisie. Avant le XIIIe siècle, en Occident, l’image du monde est fondée sur des principes philosophiques et religieux. Claude Ptolémée écrit au IIe siècle une Géographie,-plus tard rebaptisée Cosmographie-, où la Terre est conçue comme une sphère située au centre de l’Univers. Elle comprend deux hémisphères: celui du sud est désertique, alors que celui du nord est divisé en sept climats, c’est-à-dire sept zones d’orientation parallèles. Jusqu’au milieu du XVe siècle, les cartes les plus répandues sont sous la forme dite «T-O» : la Terre comprend les trois continents connus (Europe, Asie, Afrique). La barre verticale du T représente la Méditerranée séparant l’Europe de l’Afrique. La barre horizontale figure, à gauche, le fleuve Tanaïs (aujourd’hui Don, situé en Russie), à droite le Nil. Le O est l’océan qui encercle la Terre. Par ailleurs, la vision du monde n’est pas exempte de fantastique, comme en témoigne le Livre des Merveilles du Monde :
«La Haute Egypte est une terre peu habitée des gens à cause de la stérilité de la terre. Saint-Antoine y trouva un très hideux monstre sauvage […] qui semblait être moitié homme et moitié cheval…»
«En Egypte la Basse vivent deux périlleux monstres […] dont les uns ont pour nom Hippotaures et les autres Cocodrilles.»
De même, les instruments d’orientation connaissent une longue évolution. L’astrolabe est d’un maintien compliqué basé sur de difficiles calculs mathématiques. Il est connu en Occident dès le XIe siècle et sera remplacé peu à peu par le bâton de Jacob, car il comprend une erreur de 5° pouvant entraîner une dérive de plusieurs centaines de kilomètres. La boussole a fait son apparition en Méditerranée au XIIe siècle, ainsi que le sextant.
Il existe aussi des guides : «Le Routier de la Mer» donne des explications sur la Manche et l’Atlantique et trouve son équivalent terrestre dans le guide de Saint-Jacques de Compostelle (XIIe siècle). Celui de Francesco Balducci Pegolotti (XIVe siècle) est argumenté de conseils aux voyageurs : «…se laisser pousser la barbe, à Tana […], prendre interprète et une femme car on est mieux considéré…».
Les préparatifs.
Le pèlerin dispose d’un équipement léger, puisque le gîte et le couvert lui sont dus à chaque halte. Il emporte pour seuls biens son bulletin de route, -un sauf-conduit délivré par l’autorité municipale ou religieuse-, et quelques méreaux, sorte de jetons qui remplacent l’argent et sont échangeables contre un confort basique. Il porte entre autres une pèlerine ou une longue cape, un chapeau à large bords, un sifflet, une gourde et un bourdon, bâton à bout ferré lui permettant de se défendre.
Les nobles et les marchands n’hésitent pas, quant à eux, à emporter de nombreux bagages qu’ils peuvent laisser dans leurs différentes résidences ou chez des proches. Les armées, outre l’équipement militaire, emmènent avec elles des forgerons, chirurgiens, cuisiniers et même des boulangers avec leur four mobile. Elles disposent dès le XVe siècle de «lits de vent», l'ancêtre du matelas gonflable.
En mer, seuls ceux qui naviguent longtemps sont obligés à de lourds et coûteux préparatifs. Ils doivent prévoir des vêtements de rechange à cause des poux, de l’eau douce et des provisions pour plusieurs jours.
Les transports et les dangers.
Tandis que disparaît le réseau routier romain se créent aux XI et XIIe siècles de nouvelles voies de communication adaptées à l’essor du commerce. Ces chemins nés des usages locaux constituent un réseau secondaire dont l’absence d’entretien entraîne une lenteur considérable (10 à 15 km par jour). Quand les charges sont trop importantes, les bateaux prennent le relais sur les canaux et les rivières.
La marche est employée par les plus démunis ou par les pèlerins en quête de pénitence. Celui qui en a les moyens utilise des bêtes comme la mule, l’âne ou le dromadaire dans les déserts; le cheval tient également un rôle majeur. Les chariots à quatre roues et les litières luxueusement aménagées véhiculent les aristocrates, en particulier les femmes enceintes et les personnes âgées.
Nombreux sont les dangers naturels. Le passage des rivières sur des ponts mal entretenus, par des bacs peu sûrs ou des gués glissants et bourbeux fournissent leurs lots d’accidents. Et si les fièvres des régions insalubres emportent bien des voyageurs, les rudes conditions des hivers rigoureux ou des pays désertiques achèvent souvent les hommes affaiblis par leurs longs périples. Les dangers humains complètent ce tableau. Malgré les efforts des seigneurs pour assurer la protection de ceux qui passent sur leurs terres, les brigands restent redoutables. Routiers, pirates ou bédouins, ils pillent, volent ou tuent les voyageurs isolés. Ce qui explique pourquoi on se déplace toujours en groupe, bien équipés et aidés de guides.
Les lieux d'étapes.
Les hospices sont reconnaissables à la statuette du saint qui surmonte leur seuil; ils combinent bien souvent hôpital, chapelle et salle d’accueil. Dans la journée, des banquettes de pierre permettent aux pèlerins de se reposer un moment à l'abri du soleil comme de la pluie, après une collation obtenue d’un hospitalier posté à un guichet.
À la fin du Moyen Âge, les auberges ouvertes aux voyageurs sont particulièrement nombreuses. Les enseignes de ces établissements constituent de véritables publicités, se devant d’être parlantes en un temps où tous ne savent pas lire. Elles ciblent leur clientèle: les Allemands savent où trouver un hôtelier parlant leur langue à l’enseigne de l’Ours. À l’étranger les Français sont enclins à choisir la Fleur de lys ou l’Ecu de France et les clercs d’Eglise le Chapeau Rouge (coiffe des cardinaux). L’auberge de la Tête de Maure, par exemple, accueille tous types de voyageurs pour la nuit ou pour un repas; on y dort à deux par lits, nu et en bonnet de nuit, mais clercs et pèlerins laïcs sont logés dans des dortoirs séparés.
Cependant, un grand nombre se retrouve obligé de coucher à la belle étoile. Ils s’installent à proximité d’un cours d’eau ou d’une fontaine, de préférence sous un arbre, ou dressent la tente lorsqu’ils sont assez riches pour disposer de coûteux textiles. Elles ressemblent aux «canadiennes» des campeurs modernes: toiles doublées parfois imperméabilisées, mât, tapis de sol et tendeurs attachés à des piquets. Il en existe en forme de toit à deux pans pour un à deux dormeurs, ou encore de pavillon pour les aristocrates en voyage ou en guerre. Ces dernières sont assez grandes pour y disposer des coffres, déplier des lits de camp, dresser une table, jouer aux échecs… Certaines abritent même une cuisine, un hôpital, voire une chapelle ou une écurie.
Contacts et échange.
Les voyages commerciaux offrent la possibilité d’ouvrir des comptoirs dans divers ports méditerranéens (Corfu, Alexandrie…) et les croisades sont aussi l’occasion d’une découverte du Proche-Orient. Par la suite, l’établissement des chrétiens de Terre Sainte permet aux marchands d’Occident de s’aventurer jusqu’à Bagdad, en Inde et même en Chine. Le développement du commerce international favorise l’arrivée régulière d’une plus grande variété de produits orientaux sur les marchés occidentaux, et contribue ainsi à l’essor de nombreuses villes marchandes. Pour limiter les risques, les marchands s’associent et prévoient des contrats d’assurance maritime: en cas de pertes, les frais sont partagés.
Des pèlerins de toutes conditions sociales partent en Terre Sainte. Le voyage est long et périlleux, certains doivent vendre leurs biens ou les mettre en gage. Le transport de ces excursionnistes zélés est une entreprise lucrative : dès le XIIIe siècle existent des voyages organisés comprenant le trajet de Venise à Jaffa aller-retour, avec séjour à Jérusalem. Le voyageur plus fortuné ne se contente pas de visiter les lieux saints: sur les pistes d’Egypte et de Syrie, il découvre le caravansérail. Ce type d’établissement, construit autour d’une cour centrale, comporte des cellules à l’étage pour la nuit; il abrite les caravanes avec leurs bêtes et on y dort souvent gratuitement. La nourriture peut aussi être source de surprises: viande de dromadaire et fruits exotiques, -citron, melon-.
Les voyageurs orientaux et occidentaux s’observent mutuellement et leurs récits décrivent bien souvent l’image qu’ils ont les uns des autres. Le pèlerin Thietmar, au XIIIe siècle, décrit les beautés de la ville de Damas :
«Elle est exceptionnellement riche, pleine d’artisans et remarquable dans ses domaines divers. Elle est embellie de fontaines et de canaux artificiels. Dans chaque maison, dans chaque rue, il y a des bassins ou des lavoirs carrés ou ronds, admirablement disposés selon le goût ou la fantaisie des riches.»
Le retour.
Si le voyageur médiéval rapporte déjà des souvenirs, ce n’est pas par goût de l’exotisme. Pour le pèlerin, il s’agit de posséder une preuve de son voyage ou de l’accomplissement de son vœu. Après avoir embrassé la statue du saint objet de son parcours et reçu une attestation d’un chanoine, il ne prend que le temps de se reposer et de s’équiper pour le voyage du retour. Sur le parvis des églises, il acquiert des insignes de pèlerinage, petites broches à coudre sur les vêtements en forme de coquille, de croix, de figures de saints ou de la Vierge.
Les voyageurs reviennent aussi avec des reliques: fragments d’os des saints, eau du Jourdain, écharde arrachée à la Sainte-Croix; roses de Damas ou encore branche de palmier à valeur symbolique et de grand prix. Les spécialités locales font également l’objet d’achats. Le goût pour les terres lointaines pousse enfin les grands aristocrates à acquérir des animaux exotiques rapportés par les navigateurs: au XVe siècle, singes et perroquets sont les plus appréciés. Certains finiront même par ramener, un siècle plus tard, des hommes… Pour le voyageur lettré ou l’ambassadeur politique, il s’agit donc de manifester son intérêt pour les curiosités historiques, artistiques ou géologiques et faire preuve d’un sens de l’archéologie.
Ainsi, des mots entendus en Orient vont peu à peu intégrer notre langue : noms d’étoiles (Altaïr, Véga, Bételgeuse), termes d’orientation (azimut, zénith), noms d’aliments (sukkar –le sucre-, al-barquq –l’abricot-, al-kohl –l’alcool-)… À l’aube du XVe siècle, rois de France et princes invitent des artisans maures à venir décorer leurs châteaux, à la manière arabe de carreaux de faïence bleue et de pavements étoilés.