Mais le peuple, saturé d'interdits et de rituels, exigeait du sabbat autre chose qu'une parodie de la messe et venait surtout y défouer ses instincts nutritifs et sexuels. Les serfs affamés devaient chercher d'abondantes compensations aux festins du sabbat, bien qu'on raconte que le plantureux banquet est un sortilège de plus : si l'on veut porter la main sur les mets, on ne rencontre que du vent ou bien de la nourriture fade et pourrie, « crapauds, chairs de pendus, charognes que l'on désensevelit et arrache des cimetières ». Le tout sans sel, le diable en ayant horreur, car il est utilisé dans l'exorcisme baptismal catholique et symbolise le Père. Les enfants, en particulier, sont la proie des sorcières : « Nous les tuons grâce à nos charmes [•••] de manière telle qu'on estime qu'ils sont décédés de mort naturelle. Ensuite nous les arrachons secrètement à leurs tombes, et les faisons cuire dans un chaudron pour former un potage facile à avaler. [• • •] quiconque boit de ce liquide, au cours des cérémonies appropriées acquiert immédiatement un grand savoir et devient un chef dans notre secte. » (Malleus maleficarum, part. Il, quest. I, chap. 2). Quant au foie des malheureux enfants, il procurait, paraît-il, « le silence et la taciturnité », c'est-à-dire qu'il permettait de résister victorieusement à la torture sans rien rêvéler. Après une danse frénétique succédant au sabbat, chacun était alors plus enclin à s'abandonner à des amours bizarres et défendues : le diable les exhortait à pratiquer le viol, l'inceste et la sodomie en les aspergeant de son urine, en guise d'eau bénite. Car la signature du pacte, l'imposition de la marque ne pouvaient lui suffire : non content de maculer l'âme, il lui fallait encore souiller le corps des impétrants. Il faisait aussi participer ses démons aux débats érotiques, comme partenaires féminins (succubes) ou comme partenaires masculins (incubes). Selon de nombreux témoignages de sorcières condamnées, le sexe des démons ne procurait cependant aucun plaisir, tout comme leur sperme était jugé glacial et donc inapte à engendrer. Mais par la volonté de Satan, certains rejetons naissaient néanmoins de ces accouplements monstrueux, que l'on sacrifiait bien souvent sur la table des sabbats. Ainsi initiées et rendues complices de Satan, les sorcières se voyaient offrir des pouvoirs maléfiques leur permettant d'oeuvrer en faveur de leur maître. Elles savaient déclencher les pluies torrentielles qui noyaient les cultures, la foudre qui abattait les maisons et les arbres, la grêle qui fauchait les blés verts et les vergers. Elles jetaient des sorts, rendaient les bêtes stériles, les hommes impuissants et les femmes infécondes. Elles provoquaient des accidents inexpliqués. À l'aide d'une poudre confectionnée à partir d'ossements humains, elles empoisonnaient les puits ou répandaient la peste au moyen d'une graisse dont elles enduisaient les murs et les poignées de porte. Dans l'horreur, les contemporains firent preuve d'une imagination débordante : les sorcières se transformaient même en chats pour monter dans les berceaux crever les yeux des bébés, ou en loups-garous pour courir la campagne et dévorer les voyageurs ! Enfin, leurs fonctions sensorielles étaient suspendues, ce qui les rendait insensibles à la douleur ou incapables de verser des larmes lors des tortures judiciaires.
L'homme de la fin du Moyen Âge, particulièrement terrorisé par les famines, les épidémies et l'angoisse de la fin du monde, se voit également hanté plus que jamais, puisque extrêmement fragilisé, par les superstitions et par sa propre imagination. C'est donc tout naturellement que la sorcellerie s'impose à lui, en tant que représentation différente, inversée et inquiétante du monde, servant d'exutoire à tout un imaginaire fantastique que l'homme projetait jusque-là surtout dans les contrées lointaines et inconnues. Le Mal, désormais, naît à proximité immédiate, s'éparpille et se multiplie pour former une véritable armée diabolique agissant secrètement, bien décidée à venir à bout du genre humain, puisqu'elle peut contrôler les éléments, la vie et la mort. Ces créatures contre-nature, servantes du diable, dont la persécution effrénée ne fait que raviver la psychose, ne sont souvent rien moins que des malheureuses choisies pour rendre compte des fléaux s'abattant sur le monde. Mais il faudra trois siècles de folie meurtrière pour que l'homme atteigne cette conclusion.