Dans les vieux livres d’histoire on racontait que le village du XI-XIII était l’héritier des grands domaines carolingiens, villae. Aujourd’hui on sait que le vicus a de multiples origines et la villa carolingienne n’est qu’une de ses origines (minoritaire). La communauté villageoise va être souder.
La structure villageoise
Les grands types de regroupement villageois
On considère que le village est un groupement durable de maisons organisées autour d’un réseau viaire (de chemins) dans lequel les habitants exercent une activité économique et entretiennent entre eux des liens qui en font une véritable communauté. Structuré autour du château, de l’église + cimetière.
De fait, on considère que le village n’existe pas avant le XI siècle car en Occident c’est l’habitat dispersé qui est dominant avant ce siècle et même quand il y a un regroupement de maison il est rarement très durable (pendant les périodes d’insécurité surtout). Aussi avant le XI siècle, beaucoup de terres sont inoccupées donc les paysans se déplacent légèrement à l’intérieure d’une région lorsque les terres sont appauvries.
Au XI siècle, les hommes se réorganisent autour d’un seigneur dont la présence est déterminante pour la stabilité des groupements d’habitations.
A partir de 950, en Italie dans la Sabine et le Latium on voit apparaître l’incastellamento. En se regroupant autour du château les villageois
profitent des fortifications du seigneur. En France du Nord, Angleterre et régions allemande, le village prend une forme plus lâche où les fortifications sont absentes Le village ouvert de Wharram Percy dans le Yorkshire montre un habitat s’organisant autour du manoir, de manière aérée, les champs s’étendent en lanière derrière les maisons.
Après cette phase des castra, on assiste au XII et XIII un nouveau type de village en lien avec les défrichements. D’une organisation plus géométrique, ils sont souvent le résultat d’une planification : le village rue d’Appleton-le-Moors en Angleterre montre un habitat qui s’organise le long d’une voie de pénétration dans la forêt.
Quant au village perché de Rougiers en Provence les maisons jointives sont organisées autour d’une rue principale en contrebas du château et de l’Eglise. Au cours du XIII certaines formes d’habitat planifié sont poussées à l’extrême avec les bastides (Montflanquin dans le Haut Agenais) surtout dans le Sud-Ouest. Les maisons à l’intérieur du site sont sans cesse reconstruites, divisées ou agrandies en fonction de la conjoncture.
Parallèlement au château, le second pôle autour duquel s’organise l’habitat est l’église et le cimetière. Le modèle de l’inecclesiamento dit que le village est la réorganisation de l’habitat autour de l’église paroissiale et du cimetière. Michel Lauwers dans, Naissance du cimetière :
lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval explique qu’il est erroné de penser le village selon l’incastellamento.
Petit à petit tout l’espace de l’Occident est quadrillé par des pôles de sacralité et que les gens cherchent à se regrouper autour de ces pôles. Cette perspective est critiquable puisque si on la combine avec la théorie de l’incastellamento elle ne rend plus compte de l’organisation du village médiéval.
Dominique Iogna-Prat dans La maison Dieu, une histoire monumentale de l’Eglise au Moyen-Age dit qu’entre le IX et le XI les clercs parviennent à imposer l’idée que les communautés de fidèles doivent forcément s’organiser autour d’un bâtiment, celui de l’église paroissiale. Ce processus de l’inecclesiamento complète le processus de l’incastellamento selon deux modalités.
Dans les villages dont le seigneur est un ecclésiastique, l’église est souvent le pôle autour duquel se structure l’habitat villageois plutôt que le château (villages bourguignons avec Cluny).
Dans d’autres villages, l’habitat se structure précocement autour du château avant même qu’une église paroissiale soit construite. Ce sont ces structures villageoises qui sont les plus solides (contrairement à Dracy : cf TD). Les clercs en profitent pour réorganiser l’église et le cimetière.
On incite les villageois à se regrouper au sein de fabriques ou d’œuvres pour entretenir l’église et le cimetière. Avant
le XI siècle, le cimetière paroissial n’était pas enclos, on y enterre les gens de manière désordonnée. A partir du XI, on clôt les cimetières, les organise et y chasse un certain nombre d’activité (construction de maisons, marchés, réunion publique). Ces deux structures conjointes ont tendance à fixer durablement un habitat villageois qui a tendance à évoluer.
Le village comme cadre de vie
A)Les formes de l’habitat villageois
La maison élémentaire n’abrite que des êtres humains alors que la maison mixte abrite des hommes et des animaux.
Dans la maison élémentaire on a une ou deux pièces maximum. La première est celle où on passe l’essentiel de son temps autour d’un foyer central (si la maison est en bois) ou contre un mur (si la maison est en pierre) qui chauffe toute la maison. Les cheminées n’apparaissent qu’au XIII d’où le rapprochement du foyer de la porte d’entrée pour évacuer la fumée. Chez les plus pauvres on a qu’une pièce commune dans laquelle on mange et on dort. La seconde pièce est parfois utilisée comme chambre des parents ou comme cellier.
La maison mixte où cohabitent les animaux et les hommes est à la fois une contrainte mais aussi un avantage avec la recherche de la chaleur animal. Les hommes et les bêtes se partagent une vaste pièce commune de l’ordre de 50m2 avec soit un muret, soit une rigole qui sépare les domaines. Parfois les animaux sont au rez-de-chaussée et les hommes
à l’étage mais cette pratique est peu courante dans l’occident médiéval. On les trouve surtout dans le monde méditerranéen en Italie. Cette faible représentation des maisons à étage est liée aux contraintes techniques.
Les matériaux choisis dépendent des ressources locales : le nord construit plutôt en bois et le sud plutôt en pierre. Cependant c’est plus complexe que ça. Le facteur limitant de l’utilisation de la pierre est son coût de transport.
En Angleterre la fouille de 200 villages permet de constater que même dans des zones où une carrière de pierre est présente on n’a pas construit en pierre avant le second XII siècle.
Il semblerait que la pierre ait été plus utilisée en raison des défrichements ou qu’elle soit liée à un changement dans la conception que les hommes du Moyen-Age ont de leur habitat. La construction en pierre est associée au monde urbain et à la réussite sociale. Construire en pierre est aussi un moyen d’assurer une meilleure sécurité pour sa famille (lutter contre l’incendie) et traduit la volonté des paysans de s’ancrer dans un lieu et être en mesure de léguer quelque chose à leurs enfants dans le cadre d’un village stabilisé.
La construction en bois n’est pas uniquement de bois : les espaces vides à l’intérieur de la charpente de bois sont comblés avec du torchis ou avec le pisé (terre+caillou) quand le bois sert de coffrage.
Dans le Sud pour couvrir les maisons on utilise
des tuiles ou des plaques de pierre plates (laves ou lauzes).
En Europe du Nord, la couverture est essentiellement végétale, en chaume ou en roseau, genêts, plaques de gazon ou des planches de bois. A l’intérieur de la maison la rusticité règne : quelques meubles, coffres, une planche et des tréteaux, le lit est une paillasse recouvert d’un drap. Le soir venu on enlève les meubles pour installer des lits. Ce caractère restreint de la maison permet de garder la chaleur (grande promiscuité, nuisance) avec souvent qu’une porte d’entrée (éclairage : chandelle de suif).
La maison est un lieu où les conditions d’hygiènes sont loin d’être satisfaisante (pas eau courante et entassement des déchets dans un coin). L’essentiel de la journée du villageois se passe à l’extérieur.
B)Une vie marquée par le travail agricole
1-Des cultures variées
La culture des céréales fournit l’essentiel de l’apport calorique des paysans. Les céréales d’hiver semées vers octobre sont le froment, l’orge, le seigle et le méteil alors que les céréales de printemps semées vers mars sont l’avoine et le millet.
Le froment est une céréale exigeante aux rendements irréguliers (demande des sols riches, sensible aux aléas climatiques). Cependant comme le froment sert à produire le pain blanc des seigneurs, les paysans sont obligés de cultiver de plus en plus de froment pour payer les redevances seigneuriales.
L’orge céréale préférée des paysans perd du terrain petit à petit (pain grossier, bouillie, nourriture des bêtes et bière). Le seigle peut être cultivé n’importe où fournissant un bon rendement sur des terres mauvaises (pain noir). Le méteil, mélange des trois céréales précédentes permet d’assurer une récolte optimale.
L’avoine peut se cultiver sur tous les types de sols : on en fait des bouillies, des boissons fermentées et pour la nourriture des chevaux (incitation des seigneurs). Le millet peut être semé très tard donc elle est utilisée comme céréale de rattrapage : très peu présente dans les textes écrits on sous-estime son usage.
Parallèlement à ces cultures dominantes, tous les paysans tiennent un jardin potager, une partie utilisée en verger et une partie pour les légumineuses et la culture de la vigne.
Les paysans essayent de vendre leur production, on observe donc des progrès rapide de l’agriculture marchande. Des marchands de Cologne prennent en main dès le XI siècle, des exportations de vins des pays rhénans.
A partir du XII siècle certains paysans se rendent compte que la vigne rapporte plus que les céréales d’où la transformation de certaines terres de labours : les paysans pauvres concluent des contrats de complant ou méplant avec le seigneur ou le bourgeois (fournit une terre au paysan, investit à sa place dans les pieds de vigne, le paysan doit en prendre soin pendant 5 ans et au bout de 5 ans le propriétaire
de la terre la récupère mais en laissant une petite partie au paysan). Sur les parcelles de jardins on développe aussi des plantes industrielles pour alimenter l’artisanat urbain (lin, plantes tinctoriales notamment la guède pour le bleu)
2-L’élevage
L’élevage était dominé par les bovins dans l’Antiquité mais au Moyen-Age, ce sont les ovins qui deviennent proportionnellement les plus élevés. Les porcs reculent également à cause du recul des bois.
On est dans une période de grands défrichements donc l’élevage porcin est moins rentable. Les cisterciens ont un cheptel de plus de 65% de moutons (20 kilos de viande).
C’est la ville qui a incité à élever plus de moutons pour fournir un artisanat urbain à la maison. En région de montagne les ovins sont élevés avec des caprins pour fournir du fromage concurrencé par le lait de vache. La peau des bovins est utilisée pour la fabrication des parchemins. Les bovins sont des animaux polyvalents mais leur élevage est contraignant car il faut leur trouver des zones de pâtures où ils se nourrissent entre mars et novembre. Le cheval n’est pas élevé pour sa viande, sa consommation est interdite par une bulle pontificale.
L’élevage nécessite une coordination de l’ensemble de la communauté villageoise. Avec les défrichements, les prés communaux diminuent donc les villageois s’organisent pour mettre en place des systèmes de transfert des bêtes en fonction de la saison.