En 711, soit à peine 80 ans après la mort de
Mahomet, les musulmans avaient
atteint l'Espagne.
Ils traversent la péninsule en huit petites années et occupent en 719 le Languedoc actuel. Cette province, entre les Pyrénées et le Rhône, s'appelle alors
Gothie, en souvenir des Wisigoths, ou
Septimanie, d'après ses sept villes principales (sa capitale Narbonne, Agde, Béziers, Nîmes, Maguelone, Lodève et Elne).
Les nouveaux-venus sont
arrêtés à Toulouse, en 721, par le duc Eudes d'Aquitaine. Ils tournent alors leurs regards vers l'est et prennent Nîmes et Arles en 725. La même année, ils lancent une fructueuse
razzia sur la riche abbaye d'Autun, en Bourgogne.
Le duc d'Aquitaine, pendant ce temps, ne reste pas inactif. Il veut contenir la menace d'un retour offensif des musulmans d'Espagne et pour cela, s'allie au gouverneur berbère de la Septimanie, un musulman du nom de
Munuza, en révolte contre ses coreligionnaires du sud des Pyrénées.
Pour consolider l'alliance, Eudes lui offre sa fille en mariage (les préjugés religieux étaient moins virulents en cette lointaine époque qu'à la Renaissance et encore de nos jours).
Mais l'alliance tourne court car Munuza est tué en affrontant le gouverneur d'Espagne Abd er-Rahman (on écrit aussi
Abd el-Rahmann ou
Abd al-Rahman). Ce dernier occupe la Septimanie. Il n'en reste pas là et décide de lancer une expédition contre les Aquitains.
Les Francs au secours des AquitainsÀ la tête de ses troupes, composées d'Arabes et surtout de Berbères fraîchement convertis à l'islam, Abd er-Rahman marche vers Tours. Il n'a aucune intention de conquête mais veut simplement mettre la main sur les richesses du
sanctuaire de Saint-Martin, essentiellement de belles étoffes et des pièces d'orfèvrerie offertes par les pèlerins.
Le duc d'Aquitaine, pendant ce temps, est occupé à contenir les Francs. Ces guerriers, qu'il regarde comme des
«barbares», viennent de franchir la Loire et menacent ses possessions.
Leur chef Charles est issu d'une puissante famille franque d'Austrasie (l'Est de la France), les
Pippinides. Il exerce les fonctions de maire du palais (ou
«majordome») à la cour du roi mérovingien, un lointain descendant de Clovis. Quelques années plus tôt, il a refait l'unité des Francs en battant ses rivaux de Neustrie à
Néry.
Eudes craint avec raison que Charles ne tourne désormais ses ambitions vers le sud de la Loire et l'Aquitaine. Mais face à l'avancée des musulmans, qui ont pris Bordeaux et Agen, traversé la Dordogne et pris Périgueux, il n'a plus guère le choix.
Dans l'urgence, il appelle Charles à son secours. L'autre accepte sans se faire prier, après que le duc lui eut juré fidélité. L'armée aquitaine fait sa jonction avec les contingents francs d'Austrasie et de Neustrie. On suppose que l'effectif total est d'environ 30.000 guerriers.
Bataille indéciseConfronté à l'approche des Francs et des Aquitains, Abd er-Rahman, qui vient de piller l'abbaye de Saint-Hilaire, près de Poitiers, doit interrompre sa marche. Les ennemis se font face à Moussais, sur la commune de Vouneuil-sur-Vienne, entre Poitiers et Tours.
Pendant six jours, les cavaliers musulmans et les fantassins chrétiens s'observent et se livrent à quelques escarmouches.
Le 25 octobre 732, qui est aussi le premier jour du mois de
Ramadan, les musulmans se décident à engager la bataille. Mais leur cavalerie légère et désordonnée se heurte au
«mur infranchissable» que forment les guerriers francs, disciplinés et bardés de fer. Abd er-Rahman meurt au combat et la nuit suivante, découragés, ses hommes plient bagage et se retirent.
Un retentissement européenSimple coup d'arrêt à une
razzia, l'affrontement de Poitiers n'est pas moins évoqué par les chroniqueurs de l'époque, tant chrétiens que musulmans. Il sera plus tard magnifié par les premiers, désireux de plaire au vainqueur et à ses descendants, les rois et empereurs carolingiens.
Vers 754, une vingtaine d'années après, l'événement est cité par un chrétien de Tolède. Ce chroniqueur anonyme écrit une suite à l'
Histoire des Goths et de l'Espagne, écrite un siècle plus tôt par
Isidore de Séville.
Dans ce manuscrit intitulé
Continuatio Isidoriana Hispanica, les
Europenses (
Européens en latin médiéval) sont constamment opposés aux
Saraceni ou
Ismaeliti, les
Sarrasins ou Infidèles. C'est la première évocation connue de l'Europe comme civilisation et culture, ainsi que le note l'historien Claude Fouquet (
Nouvelle Histoire d'Europe, 2013).
Triomphe des FrancsCharles ne s'en tient pas à cette victoire somme toute facile. Profitant de l'affaiblissement du duc Eudes, il s'empare des évêchés de la Loire puis descend en Septimanie et entame en 737 le siège de Narbonne.
Le gouverneur musulman d'Espagne envoie par la mer une armée au secours de la garnison. Elle remonte l'Aude en direction de Narbonne cependant qu'une troupe de cavaliers musulmans lui arrive en renfort. Charles choisit de frapper ceux-ci. Il les surprend et les défait dans les gorges de la Berre, une rivière qui se jette dans l'étang de Bages-Sigean.
L'armée musulmane ayant battu en retraite, les Francs reprennent le siège de Narbonne mais la ville, bien fortifiée, résiste tant bien que mal.
De dépit, Charles abandonne le siège et saccage consciencieusement les autres villes de la région. C'est peut-être à cette occasion que le chef des Francs, père de
Pépin le Bref et grand-père de Charlemagne, aurait gagné le surnom de Charles
Martel (
«celui qui frappe comme [ou avec]
un marteau»).
Il appartiendra à son fils, le roi Pépin le Bref, de conquérir Narbonne et de chasser définitivement les musulmans de Septimanie en 759, trois ou quatre décennies après leur arrivée.