Si son titre est connu, le contenu de ce long poème écrit au XIIIe siècle l’est beaucoup moins. On sait peu aussi que Le Roman de la rose fut en quelque sorte un best-seller et que cet "Art d’aimer" courtois et érudit a séduit des générations de lecteurs jusqu’au début du XVIe siècle. Si "l’art d’aimer" est un genre en soi au Moyen Âge, ce qui fait l’originalité du Roman de la rose, c’est d’abord qu’il est le fait de deux auteurs, le poète Guillaume de Lorris et le clerc parisien Jean de Meun. Le premier n’existant que sous la plume du second, en effet, "on n’a pas de trace du poète Guillaume de Lorris, mais les philologues s’accordent sur le fait qu’il y a bien deux mains". Ce qui est original, également, "c’est la conclusion du Roman de la Rose, avec la cueillette de la rose qui est explicitement une scène de défloration où se mêlent de manière très adroite l’obscène et le sacré. Car le but de cette scène est la procréation, un but tout à fait orthodoxe"…
Ce qui n’a pas empêché que dès les années 1290, soit une vingtaine d’années après l’achèvement de l’oeuvre, le texte en soit remanié avec des coupes sombres pour les vers "les plus scabreux". À partir du XVe siècle, le texte suscite même une vraie querelle littéraire où s’illustre la première auteure "féministe", Christine de Pisan, qui "fustige l’immoralité, l’indécence, le mauvais langage, l’extraordinaire misogynie" de l’oeuvre. Avec elle le philosophe et théologien Jean de Gerson, chancelier de l’Universitéde Paris, " qui va clore la querelle par une série de sermons à l’université mettant en garde contre la luxure. Et cela quelque 130 ans après la rédaction du Roman de la rose"… Le "prétexte" de l’ouvrage est un songe que de Lorris raconte avoir fait lorsqu’il avait quinze ans et dont il n’avait pas alors saisi toute la portée. Dans ce songe, un oiseau le guide au "verger de l’amour’, un carré parfait, que restitue la disposition de la salle d’exposition consacrée au récit et qu’illustre une enluminure où la représentation de l’amour est "tout à fait canonique dans la littérature courtoise, avec couronne, ailes et flèches, précise la commissaire. "Les premiers vers du Roman de la rose sous la plume de Guillaume de Loris sont tout à fait conventionnels, c’est à dire conformes à l’éthique courtoise. Tout est radieux, la nature est enchanteresse, c’est très agréable à lire, encore aujourd’hui".
Dans ce jardin d’Eden où il est entré en rêve, le narrateur tombe amoureux d’un bouton de rose… Le récit narre la conquête d’une jeune fille – la Rose – par un jeune homme – l’Amant. Une quête "ponctuée par les interventions de diverses personnifications de sentiments : Raison, Ami, Richesse, Faux-Semblant, La Nature… chacune livrant sa propre vision de l’amour". Les péripéties ne manquent pas, car, on s’en doute, la quête est loin d’être un long fleuve tranquille et l’Amant va se heurter aux défenseurs de l’honneur de la belle qui ont noms Jalousie, Honte, Peur et Danger… Une forteresse est même érigée pour protéger Bel-Accueil qui personnifie le naturel confiant de la demoiselle (n’a-t-elle pas accepté un baiser?). Désormais tous les moyens sont bons pour la conquête de la Rose. C’est alors que le clerc prend le relais du poète. Sous la plume de Jean de Meun Le Roman de la Rose devient "à la fois texte sur l’art d’aimer et somme de savoirs ". Effectivement, "parfois Jean de Meun suspend la progression narrative pour livrer des connaissances, on sent alors la richesse de sa culture ", comme en témoignent les quelque 18000 vers qu’il aura ajoutés aux 4000 de Jean de Lorris. L’érudition de celui qui fut un clerc lettré et un savant reconnu, fait du Roman de la rose une véritable "encyclopédie profane".
Ce qui explique en partie son succès "bourgeois", auquel ses emprunts au registre de la comédie ne sont sans doute pas étrangers non plus. Et "quelques saynètes ont encore aujourd’hui une force comique remarquable". À cet égard, "un des passages les plus connus est le discours d’un mari jaloux, misogyne. Si de sa bouche sortent les vers les plus injurieux envers les femmes, c’est en même temps un personnage de comédie, ce qui fait que sans doute, même au Moyen Âge, le lecteur prenait parti pour l’épouse. Mais la traduction iconographique est quand même toujours celle du mari jaloux battant sa femme"… Si le texte s’achève par la "cueillette de la rose", il n’est pas question de mariage, "dont l’institution a été à plusieurs reprises raillée par Jean de Meun au cours de son récit par le biais d’allégories, et avec un contre exemple, celui d’Abélard et Héloïse. "
Copié, recopié, lu, admiré, décrié dans une sorte "d’effervescence" jusqu’à la fin du XVe siècle, Le Roman de la rose, avec la Renaissance, après le premier tiers du XVIe siècle, "n’est plus lu, n’est plus compris, à la fois pour des raisons de fond et de forme. La langue est devenue trop lointaine et ce n’est plus dans l’air du temps".