Les marchés
Les lieux d'échange étaient soit des marchés (mercatus), le plus souvent hebdomadaires, soit des foires (fora, nuudinae), généralement annuelles. Le marché ou la foire, réunions périodiques de vendeurs et d'acheteurs, relevait de l'autorité publique celle-ci créait et surveillait les lieux d'échanges, en grande partie pour des raisons fiscales car elle percevait des droits sur la circulation des marchandises (les tonlieux), sur leur exposition (droits d'étaux), et sur leur vente.
Les marchés de campagne.
Après les Grandes Invasions l'activité des marchés est prouvée tant par les canons conciliaires qui vitupèrent les prêtres qui fréquentent les marchés en vue d'y trafiquer, que par le chapitre 54 du capitulaire de villis qui prescrit de veiller à ce que les hommes du domaine n'aillent pas perdre leur temps sur les marchés. La création et l'existence de nombreux marchés ruraux laissent évidemment supposer que les producteurs avaient à vendre des surplus agricoles ou artisanaux, ou des matières premières, à des acheteurs forains, et qu'à l'inverse ils venaient acheter ce qui n'était pas produit sur le domaine. On imagine mal un marché local où les paysans se seraient vendu réciproquement leurs productions, puisque peu ou prou ils devaient produire les mêmes biens ! L'image de l'économie domaniale vivant en vase clos doit donc être corrigée : sans alimenter un commerce considérable, l'économie domaniale alimentait un certain volume d'échanges. A partir du XIe siècle les exploitations rurales furent sollicitées de produire, outre leur propre subsistance, de quoi répondre à la demande constamment plus pressante des acheteurs » (G. Duby) : les grains, le vin et le bétail furent apportés sur des marchés hebdomadaires et des foires agricoles qui se multiplièrent (cf. le nombre et l'importance des clauses qui leur sont relatives dans les chartes de franchises et dans les chartes de fondation de villes neuves). La foire (de feria, fête d'un saint) était la rencontre temporaire de marchands « forains », c'est-à-dire venus de loin (de foris, dehors) : la foire différait du simple marché local par sa moindre fréquence (périodicité annuelle en général, et non hebdomadaire), et par sa zone d'influence plus vaste (au moins le "pays") ; elle donnait lieu à une grande concentration de population, et son rôle n'était pas exclusivement économique (festivités). On constate qu'avant même que ne se produise l'essor urbain l'usage des deniers (piécettes d'argent) s'est répandu dans les campagnes au XIe siècle, que de nouveaux péages ont été créés, et que leurs recettes ont augmenté : ce sont les indices certains d'une circulation et d'échanges intensifiés dans les campagnes. Sur ces petits marchés locaux opéraient des mercatores, intermédiaires entre les producteurs et les entrepreneurs de trafic à longue distance ; ces mercatores avaient souvent affaire aux intendants seigneuriaux, qui disposaient de quantités importantes de grains et de bétail : au XIIIe siècle la grande exploitation céréalière introduisait dans la circulation commerciale un fort volume de produits agricoles, et redistribuait une partie de leur valeur sous forme de salaires en monnaie aux ouvriers agricoles. De même l'élevage s'orienta à la même époque vers l'économie d'échange : tous les ans à l'automne on procédait à des hécatombes de porcs, qui étaient salés pour l'hiver (d'où l'achat de grandes quantités de sel, ce qui exigeait du numéraire) ; au même moment de nombreux paysans se débarrassaient de leur gros bétail, en particulier les chevaux et les ânes, voire les boeufs, pour n'avoir pas à les nourrir pendant l'hiver (d'où le rôle dominant des exploitants riches et aisés qui pouvaient racheter ce bétail et le revendre au printemps). L'élevage était donc avant tout affaire d'argent: et de commerce » (G. Duby). Quant aux "ovailles", elles mettaient naturellement les paysans en relation avec les trafiquants de laines. Tout cela - et il ne faut pas omettre le vin -, met en lumière le lien étroit des campagnes avec le bourg voisin, siège du marché hebdomadaire, et avec les foires de pays, qui constituaient tous les ans à l'automne des marchés locaux de produits agricole, viticoles et pastoraux.
Les marchés de ville.
Indépendamment des marchés qui subsistèrent dans les anciennes civitates, devenues sièges épiscopaux, apparurent, surtout à l'époque carolingienne, des agglomérations sur les réseaux fluviaux entre la Seine et le Rhin, où les bateliers et les marchands établirent des entrepôts lieux de passage et de stockage, ces portus (le terme a été vulgarisé par Pirenne) donnèrent naissance à des villes. Pirenne datait la plupart des portus du XIe siècle, et il affirmait que les rares créations de l'époque carolingienne avaient été anéanties par les incursions normandes : il y aurait donc eu solution de continuité entre le IXe et le XIe siècle. Suivant l'opinion qui prédomine maintenant, de nombreux portus des pays mosans et des Pays-Bas se sont au contraire développés de manière continue depuis l'époque carolingienne : ainsi, Bruges ou Gand. L'essor urbain du XIe siècle n'est plus conçu en effet comme l'effet d'un brusque renouveau, mais comme la conséquence d'une croissance antérieure entretenue par des échanges de plus en plus actifs entre les campagnes et les agglomérations urbaines (anciennes cités, nouveaux portus). Le trafic des marchés urbains portait sur les denrées du plat pays environnant, sur les produits de l'artisanat local, et sur les marchandises achetées en gros dans les grandes foires. Ils étaient soumis au protectionnisme chauvin et à la réglementation étroite du corporatisme urbain » (M. Boulet.) : les vendeurs devaient respecter une police de la qualité, du transport, et de l'exposition des marchandises, police qui était destinée à assurer l'approvisionnement régulier du marché et l'abaissement des prix par la liberté et la publicité des transactions ; les acheteurs de leur côté se voyaient interdire les accaparements.
Les marchés de grande foire.
Certaines foires ont dépassé la zone d'attraction d'un « pays », ou d'une province, et sont devenues le lieu d'échange de produits lointains. Ainsi, la foire de Saint-Denis, créée au VIIe siècle, fut à l'origine une grande foire du vin qui se tenait pendant plusieurs semaines après les vendanges. Elle attirait les marchands frisons et saxons. Menacée par les incursions normandes entre le milieu du IXe et le début du Xe siècle, elle connut ensuite un renouveau de prospérité. De même, la Champagne devint très tôt un lieu de foires réputées : Chappes, près de Bar-sur-Aube (cette foire supplanta celle de Saint-Denis au moment des incursions normandes), et Châlons-sur-Marne eurent des foires célèbres avant l'an mille. Hors de France, Cologne et Pavie également. Ici encore il n'y a pas eu mutation, mais une croissance qui a fini par transformer les structures. Parmi ces grandes foires, les principales se développèrent au XIIe siècle le long de l'axe nord-sud qui reliait l'Angleterre (foires de la laine brute de Winchester, Northampton, Saint-Yves, Stanford) et la Flandre (foires de redistribution de la laine et de vente de draps d'Ypres, Lille, Bruges, Messines, Thourout) au delta du Rhône (foires de Beaucaire, Avignon, Narbonne, Montpellier), en passant par l'lle-de-France (foire du Lendit à Saint-Denis) et surtout la Champagne. En effet les foires de Champagne furent pendant près de deux siècles, du milieu du XIIe au début du XIVe siècle, le carrefour où se rencontraient Flamands et Italiens.