Prélèvements obligatoiresLibres ou pas, les paysans paient à leur seigneur de nombreuses redevances en contrepartie de sa
«protection» :
- les
banalités pour l'utilisation du four, du moulin et du pressoir et les
péages pour le franchissement des ponts ;
- un
cens en contrepartie des
tenures (les terres concédées par le seigneur) ;
- le
champart ou
«part des champs», équivalent en général à un dixième des récoltes...
Ils paient aussi un
droit de mainmorte pour que leurs fils puissent hériter de leurs tenures et un droit sur les
«lods et ventes» (du latin
laus,
laudis -
approbation - ; transactions autour des tenures). Ils sont tenus d'effectuer plusieurs jours de travail par an sur la
«réserve», autrement dit les terres exploitée en direct par le seigneur ; c'est la
corvée. Ajoutons à cela la
dîme due à l'Église, égale au dixième environ des récoltes. Ils peuvent aussi être astreints à une taxe humiliante, le
formariage, s'ils veulent épouser une femme étrangère à la seigneurie.
Au total, c'est environ un tiers de leurs revenus que les paysans du Moyen Âge affectent à ce que nous appellerions aujourd'hui les
«prélèvements obligatoires».
En marge de cette paysannerie plus ou moins libre, une minorité de
vilains vit dans la dépendance complète du seigneur (châtelain, abbaye ou autre). Ils souffrent d'une forme inédite d'esclavage, le
«servage» (du latin
servus,
esclave).
Ces
serfs ou
hommes de corps travaillent sur le domaine du seigneur, la
réserve, à moins que celui-ci ne préfère leur louer une terre. Ces serfs sont alors dits
«chasés».
Privés de liberté et obligés même d'obtenir le consentement de leur maître pour se marier, les
serfs sont attachés à titre héréditaire à la seigneurie. Ils n'ont pas le droit de la quitter. Mais réciproquement, le seigneur ne peut les en chasser ni leur ôter sa protection.
Le servage ainsi que tous les droits et obligations qui s'attachent à la terre sont strictement codifiés en fonction des coutumes locales, composant un écheveau d'une infinie diversité. Par exemple, si un paysan libre obtient de cultiver une tenure
«servile», il doit supporter les servitudes qui s'y attachent.
Les
serfs et autres
vilains vivent dans des conditions précaires, sous la menace permanente des disettes. Néanmoins, ils sont en général beaucoup moins pressurés par le seigneur local que pouvaient l'être leurs aïeux par les métropoles antiques, qu'elles aient nom Athènes, Rome, Carthage, beaucoup moins également que leurs contemporains soumis à l'autorité de Bagdad ou Constantinople.
À la différence des notables de ces métropoles vouées à la consommation et au luxe, les seigneurs partagent le destin de leurs paysans. Leur intérêt est de les protéger et de les soutenir car leur revenu dépend tout entier de leurs récoltes.
Cette solidarité forcée permet l'aménagement rationnel des campagnes : plantations de haies, drainage et assainissement, marnage (ajout de calcaire et argile aux sols), construction de moulins, défrichements etc. Elle est à la source du décollage économique de l'Europe occidentale.
Les premiers villages médiévaux sont structurés autour de deux lieux majeurs : le château et l'église paroissiale. Ils ne bénéficient pas de plan d'urbanisme, ce qui explique les plans routiers parfois tortueux contre lesquels il nous arrive de maugréer, mais ils tirent leur harmonie d'une judicieuse adaptation à la topographie, au climat local et aux techniques agricoles.
L'espace rural est scindé en deux parties : d'une part l'
ager, qui réunit les champs cultivés sur les terres les plus fertiles ; d'autre part le
saltus ou
«incultum» (forêts et prés communaux).
La partie cultivée est répartie entre les
tenures ou
manses exploitées par les paysans et la
réserve exploitée en direct par les domestiques du seigneur.
Pour préserver la fertilité des sols, les villageois organisent l'
ager selon les principes de l'
assolement biennal ou triennal : l'
ager est divisé en deux ou trois
«soles» et chaque famille dispose d'une tenure sur chacune d'elles avec obligation de respecter l'ordre des cultures (une année consacrée aux céréales d'hiver, une autre aux céréales de printemps, la dernière au repos - jachère - et à la pâture du bétail).
Le
saltus n'est pas moins important pour les villageois. Il fournit du bois de chauffage, des baies... Les paysans y conduisent les porcs afin qu'ils se nourrissent de glands. C'est la
glandée. Quant au seigneur, il y pratique la chasse, son loisir favori et son privilège.